Chers amis

J'avais écrit ça, dans la semaine suivant la perte de mon père. Et puis je l'ai supprimé, me sentant un peu indécente. Mais finalement, dans la seule nuit de sa publication, l'un d'entre vous l'a lu. Ce qu'il m'en dit m'a fait penser que j'aurais pu le laisser. Alors je le remets. Voilà.

J'ai été très absente, mais depuis samedi matin, jour ou j'ai fermé les yeux de mon papa, j'ai pris conscience de l'épaisseur de la mélasse dans laquelle je ramais depuis quelques mois, au fur et à mesure de la dégradation de son état de santé. Heureusement, la soleil revient un peu et comme il souffrait du mauvais temps, ca me remonte le moral. Ceci dit, ayant sur le dos : les obsèques - avec ma famille heureusement - , un déménagement et l'ouverture d'une société pour nous ouvrir - à niake et à moi - un autre avenir, je crains que mon blog attende encore un peu pour être alimenté.

Je vais dire des choses idiotes, ca fait du bien : c'est la première et dernière fois que je perds mon papa, c'est un moment de vie à la fois douloureux et complètement surréaliste. Heureusement, la société - ce qu'il en reste - permet quand même de consacrer à ce type d'évènement un peu de temps hors travail. Or justement, c'est de ça dont j'aurais besoin : une retraite totale, d'une durée indéterminée, pour pleurer et me souvenir, pour goûter la vie dont on prend conscience à ce moment-là de l'incommensurable ténuité, du prix d'un rayon de soleil, d'un vol d'abeille, de feuilles bruissantes sur un arbre, d'un regard, de toutes ces petites choses qui ne font pas la une des journaux et qui sont les seules qui soient vraiment importantes. Dans l'une de nos dernières conversations, à propos d'un chien - que certains d'entre vous connaissent pour l'avoir entendu aboyer lors des longues heures passées à coordonner nos efforts sur des choses totalement absurdes du style descendre un boss de wow - je partageais avec mon père l'idée que ces choses vraiment importantes sont classées dans la catégorie "détails" de l'existence. Un comble non ?

Je me souviens un peu de Milan Kundera dont j'ai lu l'ouvrage qui rend un peu compte de cela - mais finalement, il ne m'en reste que le titre (l'incommensurable légèreté de l'être) et s'il ne m'en reste que le titre, c'est que le meilleur de l'écriture est dans le titre ( wouah la garce lol ).

Et pourtant, avant ces satanées obséques à la fois extrêmemement importantes, terriblement angoissantes et monstrueusement chiantes, j'ai dû retourner au boulot. Et là est l'impression de ce surréalisme total : certes, on est là, et on agit, on bouge, on fait ce qu'on a à faire d'autant plus volontiers que ça détourne un temps de la sensation du vide plein d'horribletés prêtes à surgir, on devient lègerement - je suis indulgente :)) - hystérique à dire quand même à quelques personnes choisies ce qui vient de se passer pour soi, dire n'importe quoi, du parallèle prison et maison de retraite pour un homme effectivement passé par la prison lors de la dernière guerre, à 14 ans !!, jusqu'au constat de la fatigue purement physique qu'occasionne la perte confrontée aux exigences de la vie en société qui ne cessent, elles, pas.

Et en même temps, il y a ce vide. Il est là, il est presque rassurant, c'est la marque de l'amour, du lien, du souvenir, la certitude qu'au fond tout pourrait se casser la gueule, s'effondrer dans la violence paroxystique d'un chaos total, le lien à lui, ce père, en tant qu'être, juste, pas grand chose de plus que ça, juste l'être, perdurera. Il a fallu que je perde mon père pour le comprendre, et même s'il n'en est pas totalement responsable, parce que la mort est le lot commun, il mérite le plus grand merci du monde.

Merci Papa.